Soumis par Pierre Degand le lun, 12/04/2021 - 06:39

Un livre en rapport avec l’âgisme : La voyageuse de nuit

Par Laure Adler chez Grasset, 2020 (ISBN 978-2-246-82601-9).

Ce livre, écrit par une romancière mais aussi journaliste et productrice de radio et de télévision bien connue en France, n’est pas un roman comme le titre le laisserait supposer, mais un carnet de voyage très personnel à travers notre société contemporaine en mal de ses « vieux » (désignés les seniors). Ce livre résulte de quatre années d’observations faites sur elle-même d’abord (l’auteure est septuagénaire), mais aussi sur le terrain en observant des personnes âgées rencontrées à leurs domiciles, dans les rues, dans les cafés et dans les EHPAD, ainsi que des rencontres avec des scientifiques, médecins et gérontologues. De nombreuses références littéraires et historiques montrent que le problème est ancien mais aussi que dans nos sociétés occidentales de consommation il a malheureusement  évolué dans le mauvais sens. Les conclusions de ces multiples rencontres et lectures sont groupées en trois grand thèmes, l’un sur le « sentiment de l’âge », l’autre sur « l’espérance de l’âge » et le dernier sur « la vision de l’âge ».

Pour l’auteure, l’âge est plus un sentiment qu’une réalité. Il varie en fonction de critères très personnels, psychiques, physiques et géographiques. On se sent jamais trop vieillir, sauf quand la société vous le fait remarquer ou qu’on se regarde dans un miroir. Egalement on peut être vieux dans son corps et jeune dans sa tête et inversement être jeune dans son corps et vieux dans sa tête. En évitant la solitude, en explorant et développant au mieux ses envies, avoir des projets adaptés à sa condition physique et intellectuelle et en favorisant les relations sociétales et intergénérationnelles, on devrait pouvoir trouver sa place dans la société et y développer une « certaine intensité d’existence », quelque soit son âge physiologique. La vieillesse est donc plus un art de vivre qu’un état de fait. Ils sont nombreux les artistes musiciens, peintres et écrivains par exemples qui ont produit des œuvres remarquables tardivement. Ils sont très nombreux ces « vieux » qui participent souvent bénévolement à la vie active de la société. La vieillesse est donc plus un art de vivre qu’un état de fait.

Ce livre a donc pour ambition de nous démontrer que contrairement aux nombreux clichés et stéréotypes négatifs qui circulent à propos des personnes âgées, l’avancée dans l’âge serait plutôt une force et source d’enrichissement, d’expériences intéressantes et de nouvelles joies de vivre. Il est aussi un plaidoyer contre les « couloirs des EHPAD », du moins tels qu’on les conçoit généralement, avec des personnes âgées, résignées et coupées du monde des jeunes actifs, parquées comme des malades « naturels ». Il faudrait mélanger les âges au lieu de les ségréger. Selon Aristote, « la belle vieillesse est celle qui n’est charge à personne » (op cid dans le livre).

Ce livre s’inscrit parfaitement dans le combat mené contre l’âgisme et contribue donc à rajeunir le regard sur les personnes âgées. Mais comme le précise son auteure, ce livre n’est pas un guide « du bien vieillir» mais un état des lieux sur comment les seniors sont perçus dans nos sociétés de consommation, avec quatre, voire cinq générations qui se côtoient, présentant généralement la jeunesse comme un idéal d’âge, la performance et la beauté physique comme modèles. C’est un livre qui aide à former sa propre réflexion sur l’âgisme et à mieux se positionner avec son entourage et la société. C’est un livre qui devrait intéresser les jeunes générations qui iront tous un jour « habiter dans le pays des vieux ».

 

Henri Grosjean, 13 avril 2021

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